31 mai 2003

Muhammad Ali

(info sur Muhammad Ali)

L'art de la boxe

Thomas Kieller

Muhammad Ali : Sonny Liston est au tapis.

Le plus grand – Percutant sur le ring avec ses mains rapides et flamboyant en société avec sa prose vive, il a façonné la boxe de son art nouveau.


Remontons le temps

La population américaine a vécu, durant les années soixante, un combat de société dont les deux principaux sujets étaient la guerre et le droit à l'égalité pour la population noire. Un peu partout, des leaders comme Malcolm X et Martin Luther King ont pris la parole et ont clamé leur profond désaccord face aux préjudices raciaux dont la communauté noire était victime. D'autres Américains se sont agités pour la paix en s'opposant fermement à la guerre du Viêt Nam. Quoiqu'il en soit, c'est l'éclatement des États-Unis. Les manifestations de plus en plus nombreuses ont apporté sur la table un questionnement sur les valeurs du temps. C'est à l'aube de ce choc de société que le jeune Cassius (Ali) a débuté sa carrière professionnelle et il était fin prêt à jouer un rôle prédominant dans ce mouvement de changement.

Début – 1960

Bien avant l'adoption de son nom de tradition musulmane, le jeune Cassius Clay démontrait déjà au public un talent unique, mais fort déconcertant au point de vue du style. Souvent, il laissait tomber volontairement sa garde! Cassius préférait esquiver les poings de ses opposants par ses réflexes et son jeu de jambe efficace. Nettement plus rapide et talentueux que ses adversaires, il les dominait largement.

Comme il le fut chez les professionnels, il avait confiance en ses moyens et disait plus souvent qu'autrement qu'il était fort et que nul ne pouvait le battre. Le public qui l'a vu boxer à l'émission « Tomorrow's Champion » n'aimait pas cet air de confiance et d'arrogance. Malgré cette opinion défavorable, il livrait la marchandise.

À 18 ans, il avait gagné tous les titres possibles chez les amateurs. Pour le « National Golden Gloves », il a livré un combat des plus relevé. Son adversaire, un champion noir de l'armée américaine du nom d'Allen Hudson, l'a envoyé au premier round au tapis. Cependant, Cassius ne s'est pas laissé abattre. Il s'est relevé et a répliqué à son opposant en gagnant au troisième round par knock-out technique. Cette victoire lui a donné son droit d'entrée pour les Jeux olympiques d'été de Rome (1960). Devant les Romains, il a remporté la médaille d'or dans la catégorie des lourds-légers. Il ne restait plus qu'une chose à faire pour Cassius, faire le bond chez les professionnels.

Athlète

Au sommet de sa carrière, Muhammad Ali était un poids lourd d'une grande agilité comparable aux boxeurs de la catégorie super moyen (les 168 livres). Il pouvait boxer tout en gardant sa main gauche le long de son corps et esquivait les coups en reculant. Il évitait le danger avec finesse sous les hurlements de joie des fans présents.

De plus, il possédait les mains les plus rapides de sa catégorie. Son jab de la gauche pouvait littéralement dicter le combat. Il épuisait ses adversaires par ses coups à répétition tant au visage qu'au corps. Même s'il était considéré comme un agile boxeur plutôt qu'un cogneur, il fallait respecter son coup de poing. Lors de ces trente premiers combats, il a gagné 24 fois par ko ou tko. Nul doute qu'il frappait fort et qu'il pouvait envoyer son adversaire voir le tapis.

Poète

Avec sa grande confiance en lui, il défiait ses opposants. Même les plus grands ont goûté à son lyrisme.

« If you sign to fight me, increase your insurance.
Ali's got a left, Ali's got a right.
If he hits you once, you're asleep for the night. »

Il ne s'arrêtait pas à ces quelques mots. Il osait prédire le round durant lequel il allait mettre son vis-à-vis au tapis. Puis, il décrivait la façon dont il allait le vaincre. Lors du premier combat contre Sonny Liston, Ali avait dit que Sonny serait le premier satellite humain!

Toute cette parade générait un vaste éventail d'émotions tant chez ceux qui l'adoraient que chez ces détracteurs. En effet, il ne laissait personne de glace surtout lorsqu'il s'autoproclamait le plus grand. « I am the greatest », criait-il.

Toutefois, quand la cloche se faisait retentir dans le ring, les beaux discours faisaient place à la boxe. Dès lors, ses adversaires n'avaient qu'à bien se tenir.

Combats au centre du ring et dans la vie

Son entrée chez les professionnels s'est réalisée sans encombre. De 1963 à 64, Cassius Clay a remporté ses 19 premiers affrontements en expédiant 16 de ses adversaires au tapis. Cette série de victoires lui a ouvert le chemin du championnat.

Clay vs Liston

En 1964, Sonny Liston, un ex-détenu, dominait la division des poids lourds de son poing. Il avait détrôné deux ans auparavant Floyd Patterson en seulement 2 min 6 s. Le colosse Liston semblait intouchable.

Les experts pensaient que le champion défendrait son titre facilement. Toutefois, Cassius allait les démentir royalement. Cette nuit à Miami, il a dansé autour du molosse aux pieds plats et a décoché jab après jab. Cassius a enchaîné avec de multiples combinaisons qui ont affaibli petit à petit son adversaire. Au début du 7e round, Liston, visiblement abattu, a refusé de poursuivre le combat. Pendant que le champion déchu reprenait des forces dans son coin, Clay criait aux journalistes abasourdis : « Who is the greatest? Eat your words! I shook up the World! ». Le choc qu'a entraîné Clay était loin d'être fini.

Le lendemain du combat, il a annoncé qu'il avait accepté de se convertir à l'islam et qu'il changeait de nom pour celui de Muhammad Ali. Cette annonce a choqué beaucoup de personnes de la communauté blanche qui maintenant savaient qu'il assistait, depuis trois ans, aux réunions de la Nation de l'Islam, un groupe fort contesté. Au change, Ali a perdu beaucoup de fans blancs et noirs. De plus, la World Boxing Association (WBA) a refusé de sanctionner le match revanche contre Liston. La raison évoquée, qui est fort douteuse, était le changement de nom!

Ali ne s'est pas apitoyé sur son sort et a poursuivi son chemin. Un an plus tard, il a affronté à nouveau Liston. Cette fois, il l'a si bien martelé qu'au 1er round Sonny était ko. Tournant la page sur le cas Liston, Ali a affronté d'autres bons boxeurs comme Floyd Patterson, Henry Cooper et Brian London qui ont tous tombé devant lui.

Guerre du Viêt Nam

Ali n'avait pas fini de se faire harceler pour ses convictions. En 1966, il a été déclaré bon pour le service militaire. Toutefois, il était en désaccord sur la question de la guerre du Viêt Nam. Il a répondu à une question d'un journaliste en scandant ce poème :

« Keep asking me, no matter how long
On the war in Vietnam, I sing this song
I ain't got no quarrel with the Viet Cong. »

En avril 1967, Ali a refusé de se joindre à la US Army en réclamant le statut d'objecteur de conscience. Une dizaine de jours plus tard, il a été mis en accusation devant un grand jury fédéral qui l'a condamné. Puis, le juge lui a imposé la sentence maximale, c'est-à-dire cinq ans d'emprisonnement et 10 000 dollars d'amende. Sans tarder, son passeport lui a été retiré. Pire encore, il n'avait pu le droit de boxer aux États-Unis. Sans licence pour boxer, les autorités de la WBA l'ont destitué de son titre de champion du monde des poids lourds. Cette suite d'événements a empêché Ali de boxer pendant trois ans et demi juste au moment où les experts considéraient qu'il était au sommet de son art.

Ne pouvant gagner sa vie avec ses poings, il a décidé de donner des conférences dans les universités. Dans les discours qu'il a présentés, il a donné son point de vue sur la guerre et le droit à l'égalité pour la population noire.

Puisque la situation n'avançait pas à son goût, Ali a annoncé en février 1970 sa retraite de la boxe. Toutefois, en juin de la même année, une décision de la cour supérieure allait le faire revenir sur ses pas. Sa condamnation a été annulée à cause que le FBI avait procédé à des écoutes illégales. Les autorités présentes n'ont rien dit sur les droits civiques de Ali qui sans aucun doute avaient été brimés. La mauvaise farce était finalement terminée.

Ali n'a pas lancé de reproches à quiconque. Bien au contraire, il a dit que ça ne vaut pas la peine de les punir pour les gestes qu'ils ont cru bons. Telle était sa position sur la situation. D'ailleurs, il n'a pas intenté de poursuites pour obtenir son titre. Il a préféré gravir une fois de plus chaque marche menant au championnat.

Après ses trois années d'inactivité, Ali s'est remis en marche rapidement en battant par tko Jerry Quarry et Oscar Bonavena. Après le second combat, Ali a appelé Joe Frazier.

Ali vs Frazier

Frazier, le champion de la WBA, a accepté sans hésiter le duel lancé par Ali. Depuis que celui-ci avait était arrêté, suspendu et délesté de son titre de champion des poids lourds, Frazier dominait largement la catégorie.

Les deux boxeurs avaient une fiche vierge de défaite. À la carte de Frazier, on pouvait y lire 26-0 avec 23 kos. Un vrai démolisseur! La fiche d'Ali était tout aussi éblouissante 31-0 avec 25 kos. La différence était que Frazier était sans aucun doute à son sommet de son art tandis qu'Ali revenait de trois années d'inactivité avec seulement deux combats préparatoires dans le corps. Était-il vraiment rodé?

New York, 8 mars 1971 – Le soir du combat, une frénésie se dégageait au Madison Square Garden. Tous comprenaient l'enjeu de la confrontation. La foule qui remplissait à pleine capacité le Garden était excitée. Les 700 journalistes qui ont pu obtenir leur accréditation pour le combat étaient aussi agités.

Dès le 1er round, on pouvait voir qu'Ali avait perdu sa touche. Ses mains étaient moins percutantes et son jeu de jambe ne suivait pas. Il décida d'affronter le champion de front. À ce jeu, « Smoking Joe » était brutal. Avec son habituelle volonté et désir de vaincre, Frazier se ruait continuellement sur Ali et le matraquait de son coup préféré, le crochet de la gauche.

Ali devait se reposer sur sa vitesse et son agilité pour éviter les attaques brutales du cogneur, mais plus souvent qu'autrement la défense flanchait. Par moment, Ali contrecarrait les assauts de Frazier en décochant des jabs au visage. Puis pendant plusieurs rounds, les boxeurs se sont échangés de solides coups. Le rythme du combat était effréné.

Ali avait prédit que Frazier tomberait au 6e round. Cette fois, il s'était trompé magistralement. Frazier a réussi à coincer Ali dans les câbles et l'a martelé de coups puissants à la tête et au corps. Ali ne pouvait qu'encaisser l'avalanche de coups. Toutefois, il a réussi à se rendre jusqu'au son de la cloche.

Au 9e round, Ali a repris du poil de la bête en lançant une vague de combinaisons. Le combat était loin d'être fini. Au 15e round, Frazier a lancé l'assaut final en décochant un crochet de la gauche qui a envoyé spontanément Ali au tapis. Encore une fois, Ali a réussi à survivre au poing de Frazier. Néanmoins, l'issue du combat était décidée. Le verdict des trois juges était sans équivoque. Frazier a remporté le combat : 9-6, 11-4 et 8-6.

Ce premier combat entre Ali et Frazier a été le plus endiablé de la trilogie et les experts lui ont donné l'appellation de « Combat du siècle ». C'est fort juste.

Après cette défaite, Ali devait remporter plusieurs combats pour prouver aux experts qu'il était toujours le challenger no 1. En 23 mois, il a affronté dix boxeurs qu'il a tous vaincus aisément. Seul un petit dérapage contre Ken Norton l'a ralenti. En effet, Norton lui a réservé une belle surprise en le battant par décision. Cependant, Ali a obtenu rapidement son match revanche. Cette fois, il s'est préparé adéquatement et a gagné la seconde confrontation.

Deux ans après sa défaite contre Frazier, Ali a eu sa deuxième chance et il ne l'a pas ratée. Il a remporté le combat par décision unanime. Toutefois, le titre n'était pas à l'enjeu. Une année auparavant, Frazier avait perdu en Jamaïque contre un nouveau venu, le jeune et prolifique boxeur George Foreman. La prochaine étape pour Ali était inévitablement d'affronter ce solide cogneur.

Ali vs Foreman

Mobutu, le dictateur du Zaïre, voulait attirer l'attention mondiale avec ce combat. Et sans contredit, les yeux du monde entier se sont tournés momentanément vers ce coin de l'Afrique centrale, plus précisément à Kinshasa. Le combat entre les molosses est mieux connu sous le nom de « Rumble in the Jungle ». Ce fut en effet un véritable choc de titans, mais dans la brousse.

Contrairement au combat contre Sonny Liston, Ali n'a pas utilisé sa vitesse pour esquiver les assauts féroces de Foreman. Ali a opté pour une toute autre stratégie, le fameux « rope-a-dope ». Ali s'est laissé choir dans les câbles et ne présentait que ses bras à Foreman. Ainsi, Ali protégeait sa cage thoracique de ses avant-bras et sa figure avec ses gants. Cependant, Foreman qui y voyait une opportunité s'est lancé sur Ali et a décoché ses coups les plus puissants. Ali a encaissé toutes les bombes comme un sac de sable.

À la fin de chaque round, Ali est sorti de sa torpeur pour infliger à Foreman quelques combinaisons rapides. Petit à petit le champion faiblissait. Puis à la fin du 8e round, Ali a attaqué avec une plus grande vigueur « Big George » qui montrait des signes évidents de fatigue. Ali a décoché une série de combinaisons qui a envoyé Foreman pour la première fois en carrière au tapis. Fatigué et étourdi, Foreman ne s'est pas relevé. La foule était en délire. Ali avait gagné le titre des poids lourds comme il l'avait fait la première fois en battant un colosse.

Ali vs Frazier – 3e affrontement

En 1975, Ali devait encore une fois faire un combat légendaire contre Joe Frazier. Ce dernier combat qui allait boucler la trilogie eu lieu à Manilles aux Philippines. À nouveau, les deux boxeurs ont livré un combat brutal. Au bout du compte, Ali a été le plus fort et a remporté le « Thrilla in Manila ». À la fin de l'affrontement, Ali s'est évanoui dans son coin démontrant qu'il avait mis beaucoup d'énergie à battre Frazier.

Derniers épisodes

Après cette grande victoire, Ali a défendu avec succès son titre à six reprises. Toutefois, le jeune médaillé olympique Leon Spinks est venu battre Ali en 1978. À 36 ans, l'âge commençait à se faire ressentir. Ali n'était plus aussi rapide. Dans un match revanche, il a tout de même réussi à battre Spinks. Du même coup, il est devenu pour une troisième fois champion des poids lourd. Cependant, il a été incapable de défendre sa couronne. Son temps était tout simplement révolu et il s'est retiré en 1981.

Loin d'être sa dernière étape

Plus tard, un membre de son équipe a annoncé qu'il souffrait de la maladie de Parkinson qui affectait ses capacités motrices et son élocution. De l'avis général, la maladie avait été provoquée par l'accumulation de coups à la tête au cours de sa carrière. Malgré tout, il ne s'est pas arrêté là.

En effet, il s'est impliqué dans plusieurs causes humanitaires. Juste avant la guerre du Golfe (1990), Ali s'est rendu en Irak pour négocier la libération d'otages. Puis en 1996, devant des millions de téléspectateurs, il a allumé la flamme olympique aux Jeux d'Atlanta même s'il tremblait à cause de la maladie. Par ailleurs, il a fait don de millions de dollars à des personnes et à des organisations, parmi lesquelles d'innombrables écoles. Il l'a toujours fait sans égard à la couleur ou à la religion. Malgré les propos chocs qu'il a lancés durant sa carrière sportive, Ali a développé un profond respect pour l'homme.

La boxe, sa vie

Ali n'a pas eu un parcours facile. En 1967, les autorités l'ont mis au tapis en le destituant de son titre et en lui enlevant le droit de boxer. Pourtant, il n'a pas abdiqué. Il s'est relevé, s'est battu et est devenu à nouveau champion du monde des poids lourds. En battant les solides cogneurs de sa génération, Ali a prouvé sans équivoque qu'il maîtrisait son art. Liston, Foreman et Frazier ont tous tombé devant lui. Comme de fait, ces nombreux exploits l'ont conduit en septembre 1987 au Temple de la renommée.

Ses commentaires chocs, son talent fou et son physique n'ont laissé personne de froid. Avec son style unique, il a façonné son sport. Ali c'est la renaissance de la boxe.