9 janvier 2007
Jelena Janković
(info sur Jelena Janković)Une saveur serbe sur le court de tennis
Thomas Kieller
Athlétique, talentueuse et d’un style envoutant, Jelena s’impose sur les courts de tennis. Dans les loges aux abords du terrain, les regards se tournent de plus en plus vers cette jeune femme. Les spectateurs l’apprécient avant tout pour la passion qu’elle dégage. Jelena ne cache pas ses traits slaves. Parfois émotive mais combien déterminée, elle se lance à fond dans ses matchs laissant rien derrière elle. À deux pas d’être dans le top 10 mondial, elle continue son ascension. La joueuse serbe ne se contente pas de ses victoires passées à Dubaï et à Budapest. Bien au contraire, ses résultats satisfaisants de 2006 démontrent qu’elle peut battre les meilleures joueuses au monde et qu’elle adore surmonter de nouveaux défis. Certes, une victoire à un des quatre tournois majeurs est encore un objectif assez lointain. Pourtant, il se peut fort bien qu’un jour Jelena réalise ce que bien des joueuses du circuit rêvent, c’est-à-dire gagner un tournoi du Grand Chelem. Est-ce que ce sera celui de Paris, de Londres, de New York ou de Melbourne? Seul le temps nous le dira comme Jelena le dit si bien!
L'entrevue a été réalisée le 1er novembre 2006 à 20h50 dans la salle de conférence de presse du tournoi de tennis Challenge Bell de la Sony Ericsson WTA Tour qui se tenait dans un des édifices de l’Université Laval à Québec, Canada.
Prélude – Devant la salle de conférence de presse, les journalistes et les reporters attendent l’arrivée de Jelena qui a battu aisément la Vénézuélienne Milagros Sequera par le pointage de 6-1, 6-3. Pendant ce moment d’attente, un journaliste serbe remet à Jacques Hérisset, directeur général du tournoi Challenge Bell, le nouveau drapeau de la Serbie en vigueur depuis le 8 juin 2006 afin qu’il puisse être bien en vue à la place de l’ancien drapeau suspendu par erreur parmi ceux du Canada, des États-Unis, de la Russie et de la France. Aux alentours de 20h30, Jelena arrive dans la salle de conférence de presse détendue et reposée. Confortablement assise dans un fauteuil, elle répond en premier lieu aux questions lancées par alternance par quatre journalistes avant de s’entretenir avec moi de sport et de son pays, la Serbie, pendant une trentaine de minutes.
Entraînement et préparation d’une joueuse de tennis
Thomas Kieller : Tu es une professionnelle depuis 2001 et tu as déjà eu ta part de blessures qui t’ont forcé à abandonner des matchs. Je parle de blessures au dos, de blessures aux épaules, d’entorses aux chevilles, d’élongations à la cuisse, d’élongations aux abducteurs et même une fois tu as dû te retirer d’un match en raison de crampes. Tu as joué dans la saison 2005-2006 au moins 70 matchs en simple et plusieurs autres en double. Jouer autant au tennis à ce niveau est-ce que c’est demandant pour le corps?
Jelena Janković : Oui, c’est très dur pour le corps quand tu joues autant de matchs et c’est aussi très dangereux. Tu peux te blesser facilement parce que ton corps est si fatigué. Donc, il faut s’étirer beaucoup, il faut courir après les matchs pour libérer l’acide lactique des muscles, se faire donner des massages et il faut prendre bien soin de son corps afin de rester en santé.
Thomas : L’importance de la santé court dans ta famille. Est-ce que ton frère Marko, qui est un spécialiste du fitness, te donne des conseils concernant ta condition physique?
Jelena : Il m’aide un petit peu, mais il étudie aussi à l’université. Donc, il fait en quelque sorte son chemin. Il en reste qu’il m’aide parfois.
Thomas : Durant la saison, quels types d’exercices fais-tu pour ta condition physique (jogging, entraînement dans un gymnaste ou sur le terrain de tennis)?
Jelena : À vrai dire, je ne suis pas le style de joueuse qui aime faire beaucoup de poids dans une salle d’entraînement. Cela me fait sentir tendue et lourde. Je préfère travailler avec des poids très légers et faire plusieurs répétitions ou bien faire des exercices sans poids. J’aime faire des mouvements pour mes abdominaux et des exercices pour mon dos. C’est une partie très importante du corps qu’il faut garder forte car tout par de là. J’aime aussi courir. Selon la journée, c’est-à-dire si je joue un match ou bien si je pratique, je cours de longues distances ou je fais des sprints. Donc, je fais toutes sortes d’exercices pour rester en forme.
Thomas : Et quel type d’entraînement fais-tu pour l’aspect technique du jeu?
Jelena : Je pratique tout simplement quand je suis dans un tournoi et j’essaie de frapper le plus possible de balles croisées sur la ligne. J’essaie d’avoir des coups précis et d’être confortable sur le court de tennis. C’est mon principal objectif. Donc, quand je suis dans un match, je sais ce que je fais et je sens vraiment bien la balle.
Thomas : Durant l’année, est-ce qu’il y une période plus intense d’entraînement?
Jelena : Après la saison qui fini pour moi avec le tournoi à Québec, Canada, je m’en vais en vacances pour deux semaines et après je vais avoir un entraînement plus intense afin de bien me préparer pour la prochaine saison. Je vais probablement faire plus d’heures d’entraînement qu’à l’habitude. Je fais tout cela car après tout est plus facile.
Thomas : Au soccer, au football américain et au hockey, lors de la période d’entraînement avant la saison, les joueurs travaillent très fort. Certains d’entre eux travaillent même leur forme durant la période morte. La condition physique est très importante. Au tennis, il y a des exemples de joueurs qui ont donné une attention particulière à leur forme comme Andre Agassi. Il s’est retiré à 36 ans probablement parce qu’il n’a pas négligé sa santé et sa forme. Un des meilleurs exemples est l’Autrichien Thomas Muster. Il n’avait pas un talent extraordinaire au tennis mais il a donné un effort supplémentaire en ce qui concerne sa condition physique. Il est devenu numéro 1 en 1996. Est-ce que tu penses qu’au tennis masculin ou féminin, en général, les athlètes se concentrent surtout sur l’aspect technique du jeu plutôt que sur la condition physique?
Jelena (rit) : Je pense que c’est une décision personnelle. Certains joueurs travaillent cinq, six ou huit par jour. Je suis une joueuse qui travaille deux à trois heures par jour car je n’aime pas tant que cela pratiquer. Je préfère un entraînement de qualité plutôt qu’un axé sur la quantité.
Thomas : Le tennis peut être demandant physiquement. Est-ce qu’il y a un type de terrain qui est plus demandant physiquement pour y jouer?
Jelena : Je pense que la surface dure est la pire pour le corps parce que c’est demandant pour le dos et pour les genoux. Le gazon c’est bien d’y jouer car c’est doux et peut être que tu as moins de problèmes avec tes genoux et certaines jointures. Pour moi, c’est la surface dure qui est la pire.
Thomas : Hormis le tennis, est-ce que tu apprécies d’autres sports ou activités physiques?
Jelena (dit sur un ton joyeux) : J’aime jouer au basket-ball. Quand je suis en Floride aux États-Unis où j’ai un appartement, j’aime nager et pour m’amuser j’aime bien jouer au golf.
Origines serbes
Thomas : Aux alentours de 1995 à Belgrade, Yougoslavie, est-ce qu’il était difficile d’avoir de bonnes conditions d’entraînement pour le tennis?
Jelena : Nous avons encore des problèmes. Par exemple, en Serbie, il n’y a pas de terrains avec une surface dure. Donc, quand j’ai un tournoi sur une surface dure, je m’entraîne plutôt sur une synthétique. C’est une grande différence. Ce n’est pas bon de pratiquer sur une telle surface. J’espère qu’ils vont essayer de bâtir des centres avec différents types de terrain, c’est-à-dire des courts avec une surface dure et d’autres en argile. De cette façon, il sera plus facile pour les joueurs et joueuses serbes d’améliorer leur jeu et aussi d’avoir plus de nouveaux venus.
Thomas : Si j’ai bien bien compris, les conditions en Serbie ne sont pas meilleures qu’en 1995!
Jelena : Je pense que c’est pareil. Le pire c’est en hiver. Par exemple, il y a trois courts de tennis qui sont recouverts d’une structure en caoutchouc. C’est un peu difficile à expliquer. De l’extérieur, cela ressemble à un ballon. Comme j’ai dit il y a trois terrains et c’est bondé de joueurs et de joueuses. Ils n’ont pas beaucoup de temps pour pratiquer et, en plus, il fait froid. Il n’y pas de système de chauffage adéquat. C’est difficile! Tu peux tomber malade. Mais c’est comme cela...
Thomas : Quand as-tu quitté ton pays pour la Floride afin de t’entraîner à l’Académie de tennis de Nick Bollettieri?
Jelena : Si je me souviens bien, j’avais presque treize ans. Douze ou treize, je ne suis pas certaine.
Thomas : Tu habites maintenant à Bradenton (Floride), États-Unis. Premièrement, pourquoi il y a tant de joueuses qui habitent en Floride? Qu’est-ce qu’il y a de si attirant, la température?
Jelena (rit) : Oui, le plus attirant est la température parce que tu peux pratiquer pendant toute l’année. Tu peux jouer dehors et tu n’as pas à aller à l’intérieur. Les installations sont bonnes et il y a tous les types de terrain. Il y a un bon centre d’entraînement où je m’entraîne à l’académie. Tu as tout ce dont tu as besoin pour bien te préparer aux tournois et pour y être performant.
Thomas : C’est connu que les États-Unis accueillent les gens des différents pays. Est-ce que c’était facile ou difficile de t’intégrer au style de vie nord-américain? Est-ce qu’il y a eu un choc culturel?
Jelena : Au début, c’était un peu différent surtout pour une jeune fille qui arrivait. Je ne parlais pas l’anglais. Je ne savais rien et c’était aussi difficile pour moi d’être éloigner de ma famille. J’ai dû m’adapter aux gens et à ce nouvel environnement. Il y avait une grande différence. C’était difficile. Mais je pense que je m’y suis habituée et, avec le temps qui passe, tu en apprends sur la culture et sur les citoyens du pays. Tu t’ajustes tout simplement et tu deviens un peu comme eux.
Thomas (surpris) : Tu étais toute seule. Ta famille n’était pas avec toi?
Jelena : J’étais presque tout le temps seule. Par exemple, ma mère restait avec moi un mois et elle retournait à la maison. Je restais là avec les autres enfants. C’était quand même difficile surtout quand tu ne parles pas l’anglais. Je ne savais pas quoi faire plus particulièrement quand j’allais à l’école. Je n’étais pas capable de faire mes devoirs. Quand tu as un problème, il n’y a personne pour t’aider. Donc, tu apprends de la manière difficile. Tu apprends à tout faire toi-même. Toutefois, c’est une bonne expérience qui fait en sorte que tu es plus indépendant et plus fort comme personne. Tu sais tout faire par toi-même ce qui fait en sorte que tu ne dépends pas de tes parents ou d’une autre personne pour le faire.
Thomas : Sur un autre sujet, tu as fait partie de l’équipe Serbe (2001 à 2005). Tu as été la seule joueuse de ta délégation, Serbie et Monténégro, à jouer au tennis aux Jeux olympiques d’été à Athènes, Grèce en 2004. C’est quand même quelque chose de spécial. Est-ce que tu es fière de représenter ton pays qui est d’ailleurs maintenant la Serbie?
Jelena : Oui, je fière de mon pays. Je suis Serbe et je joue pour ce pays. J’essaie de représenter ce pays sous sa meilleure lumière. Je pense que les athlètes son les meilleurs ambassadeurs pour leur pays. C’est bon de le promouvoir surtout de la bonne manière. Je pense que la Serbie est plus connue pour ses guerres et pour ses mauvais moments, mais je pense que les athlètes peuvent donner une meilleure image de mon pays. Lorsque tu entendras la prochaine fois parler de la Serbie, peut-être que tu penseras à une bonne joueuse de tennis ou à un bon joueur de basket-ball.
Thomas : En 2006, il y a eu une rupture entre la Serbie et le Monténégro. Tu es née à Belgrade qui est maintenant en Serbie. Ta mère est aussi née en Serbie. Par contre, ton père Veselin est né au Monténégro. Quels sont tes sentiments concernant cette séparation?
Jelena : Tu sais, ce n’était pas ma décision que la Serbie et le Monténégro se séparent. Le gouvernement et les citoyens c’est eux qui décident. Je ne suis pas impliqué dans la politique et je n’aime pas en savoir beaucoup à ce sujet. J’aurais préféré qu’ils aient resté ensemble surtout que mon père est du Monténégro et que ma mère est de la Serbie, mais je vis en Serbie et j’ai décidé de jouer pour ce pays. Au tout début, les journalistes me demandaient « pour quel pays vas-tu jouer? » et des choses comme cela, et puis j’ai décidé de jouer pour la Serbie et maintenant je suis tout simplement une Serbe.
Thomas : Je suis certain que tu as parlé de ce sujet avec ton père. Selon toi, quels sont ses sentiments en ce qui concerne l’indépendance du Monténégro?
Jelena : Je ne sais pas. Je ne lui ai par parlé de cela. Je ne sais pas ce qu’il ressent à ce sujet. Toutefois, c’était une décision familiale pour qui j’allais jouer.
Thomas : À titre de joueuse professionnelle de tennis, tu as voyagé beaucoup et tu as eu l’opportunité de voir différentes cultures. Cela te donne une perspective sur ce qui est arrivé chez toi en Serbie. De voir du pays, est-ce que c’est quelque chose que tu apprécies?
Jelena : Oui c’est sûr. Si je n’étais pas une joueuse de tennis, je n’aurais pas pu voyager autant, en apprendre sur les différentes cultures, rencontrer des gens de tout acabit et de voir tant de villes. J’ai presque visité tous les coins du monde. Il y a encore quelques endroits que je ne suis pas encore allée. Pour une personne de 21 ans, j’en ai vu beaucoup et je suis reconnaissante que j’ai un travail qui me permet de voir le monde, d’apprendre de nouvelles choses et me permet de vivre de belles expériences.
Thomas : Sur le circuit professionnel de tennis, tu vis avec des joueuses de différentes nationalités. Est-ce que tu apprécies ces moments et est-ce que tu apprends des différentes cultures?
Jelena : Oui, on discute entre nous. Nous parlons de choses que nous faisons dans les occasions spéciales. Par exemple, la fête de Noël en Serbie est le 7 janvier plutôt que le 25 décembre comme en Amérique. Donc, nous parlons de nos différences. Tu peux toujours apprendre d’une autre personne.
Prochaine saison et tennis féminin
Thomas : Depuis 2003, il est possible de constater que tu progresses vraiment dans les tournois majeurs comme en Australien, en France, en Angleterre et aux États-Unis. En 2007, quels sont tes objectifs?
Jelena : J’aimerais bien poursuivre sur ma lancée. Mon objectif principal est d’atteindre mon plein potentiel et qu’en est-il nous allons le voir. Si j’atteins mon plein potentiel, je serais heureuse. Mais avant que cela n’arrive, si je n’atteins pas cela, je ne serais pas satisfaite. J’essaierais et je vais toujours améliorer mon jeu à chaque jour. Travailler sur moi-même et sur les choses que je dois corriger parce que personne n’est parfait. Tu peux toujours devenir meilleur. Je veux toujours aller de l’avant. Bien entendu, j’aimerai gagner un tournoi du Grand Chelem. Mais maintenant, mon objectif c’est d’être dans le top 10. Je suis présentement 12e. Je ne veux pas faire de grands objectifs, car tu ne sais jamais ce que demain va t’apporter. Je peux me blesser, tomber malade ou quelque chose peut arriver. J’ai eu un virus en octobre 2005 et c’était difficile de revenir. Je veux rester dans le présent et vivre au jour le jour et ce que le temps apportera je prendrais. Seul Dieu le sait.
Thomas : Dis moi, pourquoi un spectateur devrait-il venir voir un match de tennis féminin?
Jelena : Je pense que le tennis féminin c’est plaisant à regarder. Tu peux voir beaucoup de tennis excitant. Tu peux voir différents types de personnalité et tu peux voir de jeunes femmes en jupe. Différentes belles tenues, cela peut être intéressant pour les spectateurs. (Jelena rit). Tu sais, je ne suis pas une spectatrice et je ne regarde pas le jeu de cette perspective.
Thomas : Bien fait Jelena.
1. Pour les fins de l’article, Jelena est devenue numéro 1 du classement mondial de la WTA le 11 août 2008.
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