14 décembre 2005
Catriona Le May Doan
(info sur Catriona Le May Doan)Le rêve olympique réalisé
Thomas Kieller
Avec un sourire éclatant, une passion pour son sport et des résultats en or, Catriona a lancé une frénésie dans le monde du patinage de vitesse. En prenant part à chaque compétition avec détermination, la dame des prairies a fracassé le record du monde du 500 mètres à huit reprises! Ses performances sur l’anneau de glace sont extraordinaires. Deux triomphes olympiques, cinq championnats du monde du sprint et six coupes du monde pour ne nommer que les plus importants titres. Pendant quinze ans avec l’équipe nationale canadienne, Catriona a rayonné sur son entourage permettant à tous d’atteindre de haut standard. Vivant à fond le rêve olympique en participant à quatre Jeux, elle envoie, maintenant tout simplement par son expérience et sa belle personnalité, un message de surpassement, de paix et de joie.
L’entrevue téléphonique a été réalisée le 14 septembre 2005 à 14h15 lorsque Catriona était à Toronto, Canada.
Vivre l’aventure olympique
Thomas Kieller : Ton aventure olympique a débuté à Albertville, France (1992). Quels sont tes souvenirs de ces premiers Jeux?
Catriona Le May Doan : J’étais comblée de joie lorsque je marchais durant la cérémonie d’ouverture. Pour la première fois, je faisais partie de ces grands Jeux et je faisais partie de l’équipe canadienne.
Thomas : Au fil des ans, tu as participé à quatre Jeux olympiques d’hiver. À tes 3e Jeux, à Nagano, Japon (1998), tu as remporté ta première grande victoire olympique ce qui t’a permis de t’emparer de la médaille d’or au 500 mètres. Est-ce que c’était un accomplissement pour toi?
Catriona : C’était un accomplissement. Oui, car c’était excessivement stressant… Pendant la saison je gagnais mais, comme tu sais, à chaque olympiade on ne sait jamais ce qui va arriver.
Thomas : Est-ce que c’était ton but principal de remporter une médaille?
Catriona : Je crois que le but, le but principal, change si on est classé 20e au monde. Dans ce cas, l’objectif doit être moins élevé. Durant la saison, lorsque je gagnais, je savais que c’était une possibilité. Donc oui, j’aurais été désappointée si je n’avais pas gagné.
Thomas : À quoi as-tu pensé sur le podium lorsque l'hymne national jouait pour ta victoire?
Catriona (en riant) : J’aimerais revivre ce moment, car je m’en rappelle à peine.
Thomas : C’était si vite?
Catriona (continue sur un ton joyeux) : C’était bien trop vite! C’était juste après la course. Il y a donc beaucoup d’adrénaline.
Thomas : Après cette première médaille d’or, qu’est-ce qui t’a poussé à continuer à t’entraîner et à prendre part à des compétitions? Tu avais tout gagné.
Catriona : Je savais que je pouvais être meilleure et c’est cela qui m’a poussé à continuer. Est-ce que j’étais à mon meilleur? Bien, je savais que je pouvais faire mieux. Je voulais aussi défendre mon titre. Je pense qu’il est plus difficile d’être bonne tout le temps que d’être excellente une seule fois.
Thomas : Est-ce que la défense de ton titre était quelque chose de naturel à faire pour toi lors des Jeux de Salt Lake City, États-Unis (2002)?
Catriona : Personne ne l’a fait avant moi au Canada. Je ne l’ai su qu’après coup. Personne n’a défendu son titre lors d’une épreuve individuelle. C’est difficile de défendre son titre. J’étais très fière de le défendre, mais cela n’a pas était facile. Il y avait beaucoup de pression.
Thomas : Oui, à propos de cette pression, la ressentais-tu parce que tu étais la championne?
Catriona (confirme juste avec son ton de voix qu’elle n’aime pas la pression) : Je n’aime pas la pression. Il y en avait beaucoup venant des médias et de moi-même, car le Canada ne performait pas bien lors des Jeux. Je ressentais la pression de partout, mais surtout de moi.
Thomas : De ton entraîneur?
Catriona (sans hésiter) : Non pas de mon entraîneur, surtout de moi.
Thomas : Durant ta carrière de patineuse de vitesse, tu as vécu d’autres grands moments. Tu as porté la feuille d’érable pour le Canada lors de la cérémonie de clôture des Jeux de Nagano. Aux Jeux suivants aux États-Unis, tu as continué où tu avais commencé. Tu as été choisie afin de porter le drapeau canadien lors de la cérémonie d’ouverture. Est-ce que tu as hésité un peu ou tu as accepté sur-le-champ?
Catriona (rit et dit fièrement) : Oh... J’ai accepté. Certaines personnes disent que cela porte malheur de porter le drapeau. Je ne crois pas en ces choses-là. Donc, je voulais prouver que ce n’était pas vrai.
Thomas : As-tu ressenti une quelconque pression à porter le drapeau devant l’immense foule sachant qu’avec la couverture télévisée des Jeux olympiques des millions de personnes suivaient tes pas?
Catriona : Non, j’étais fière. Le plus grand sentiment que j’avais c’était que j’étais très fière.
Thomas : Tu as été couronnée championne à plusieurs reprises aux Jeux olympiques et dans diverses compétitions. Tu as goûté à la victoire bien souvent. Est-ce qu’il y a quelque chose de plus important pour toi que la victoire dans le sport?
Catriona : Oui, la victoire dans la vie. Les succès dans le sport ne peuvent pas remplacer la joie dans la vie. Les médailles peuvent s’envoler. Elles peuvent se briser, elles peuvent s’égratigner, des choses peuvent arriver… Si on n’a pas la joie et le plaisir dans la vie, dans ce cas on n’a rien.
Thomas : Avant tes succès internationaux, ton chemin a été parfois couvert d’obstacles. Aux Jeux de Lillehammer, Norvège (1994), tu as patiné sur une mauvaise fissure lors de l’épreuve du 500 mètres. Tu as chuté et puis tu as abouti violemment dans la barrière. Est-ce que cela a était un coup dur?
Catriona : Oui, cela a été difficile, car on pense qu’on a laissé tomber tout le monde. Je crois que les choses arrivent pour une raison. Je pense que je suis maintenant une meilleure personne et une meilleure athlète parce que c’est arrivé. J’ai dû vivre avec la déception.
Thomas : Est-ce que cela a pris du temps pour toi à récupérer de cet événement?
Catriona : Cela a duré un certain temps. C’est difficile, car il faut prendre des décisions. J’ai pris des décisions de sport et de vie. On se remet en question dans les moments difficiles. Mais il faut prendre des décisions.
Thomas : On a déjà vu des patineurs chuter dans les premiers mètres d’une épreuve.
Catriona : Jeremy Wotherspoon.
Thomas : Oui. Est-ce que c’est arrivé à toi?
Catriona : Non, c’est quelque chose qui n’arrive pas souvent. Donc, quand cela arrive, c’est bizarre. Le pire, c’est quand cela arrive dans les premiers mètres.
Thomas : Est-ce que les Jeux olympiques sont si stressants surtout lorsqu’on sait que c’est à chaque quatre ans?
Catriona : Oui! Ils sont très stressants. Extrêmement! On s’entraîne la moitié de notre vie pour eux.
Thomas : Vous vous entraînez donc surtout pour les olympiades?
Catriona : Oui. Si quelqu’un aurait à choisir entre avoir du succès aux championnats du monde ou aux Jeux olympiques, je pense que la majorité du monde dirait les olympiades.
Thomas : Quelle est l’attitude que devrait avoir un athlète lors des compétitions pour éviter l’excès de stress?
Catriona : Je pense qu’il est important de réaliser que l’on ne peut par y arriver seul. On a besoin de l’aide de notre équipe, de notre famille, de toutes les personnes qui nous entourent. Il faut aussi comprendre que les résultats ne changent pas qui nous sommes ou ne devraient pas nous changer.
Thomas : En la présence de tous ces athlètes provenant de pays différents jumelés au message de paix lancé lors des Jeux, est-ce que les olympiques sont un moment spécial pour toi?
Catriona : Oh oui. La chose la plus importante des Jeux, c’est ce qu’ils représentent. Ils représentent les sports et les pays qui s’unissent. Les athlètes de chaque pays prennent part aux compétitions dans la paix. Quand nous pourrons avoir cela tout le temps avec tous les pays représentés, le monde entier aura réussi.
Éléments requis pour atteindre les Jeux olympiques
Thomas : Tu as remporté plusieurs médailles olympiques et plusieurs victoires internationales. Quels sont les éléments qui ont fait en sorte que tu as pu arriver à de tels succès, comme l’entraînement?
Catriona : L’entraînement est très important, mais je pense que faire partie d’une équipe l’est davantage, car il est impossible d’y arriver seul même dans un sport individuel. Il faut des gens autour de soi pour nous aider. Il est aussi important d’avoir une bonne perspective. Il faut réaliser que quoi qu’il arrive dans le sport ou sur le terrain, cela ne représente pas qui nous sommes. Nous sommes toujours la même personne.
Thomas : Si nous comparons le patinage de vitesse (longue piste) aux sports d’équipe comme le hockey, le football et le soccer, le patinage de vitesse est axé sur la performance individuelle. Toutefois, est-ce qu’on retrouve une camaraderie entre les patineuses lors des entraînements?
Catriona : Souvent l’entraînement est fait ensemble. Mais cela dépend du type d’entraînement. Quand je me prépare pour une compétition, je dois faire les choses moi-même, car lors des compétitions tout repose sur mes épaules. La moitié de l’entraînement est fait en équipe et l’autre individuellement.
Thomas : Est-ce qu’il y a un échange de connaissances sur le plan technique ou bien chacun garde ses secrets?
Catriona : Je pense que cela dépend de chaque pays. J’ai vu des exemples des deux. En général, au Canada, tout le monde travaille bien ensemble. L’équipe canadienne veut réussir comme une équipe. Nous ne serons pas meilleurs en gardant nos secrets. Les Canadiens font bien et travaillent bien ensemble. Aussi, certains de mes amis ne sont pas originaires du Canada. Ils m’aident et je les aide. Et oui, j’ai vu des pays où les athlètes ne travaillent pas bien ensemble et au niveau de l’équipe, il n’y a pas de succès.
Thomas : Si l’équipe veut travailler bien ensemble, est-ce que c’est davantage le rôle des patineurs ou de l’organisation?
Catriona : Toutes les réponses sont bonnes : les entraîneurs, les athlètes et les organisations.
Thomas : Quand tu étais à ton meilleur, combien de fois par semaine t’entraînais-tu, car il s’agit d’un autre facteur pour atteindre le succès?
Catriona : Je m’entrainais six jours par semaine, onze mois par année.
Thomas : Est-ce que cela variait si c’était une année olympique?
Catriona : Non, à toutes les années. Nous avions congé au mois d’avril.
Thomas : Est-ce que les nombreuses sessions d’entraînement sont une partie inévitable du style de vie d’une athlète?
Catriona : Oh oui! Le plus important c’est qu’il faut vouloir le faire. Personne sera assis à tes côtés pour te dire fais-le. Il faut avoir de la volonté, et oui à certains moments cela peut être très difficile. Sauf, quand tu sais ce que tu veux accomplir, tu dois te donner cette chance.
Thomas : Est-ce que tu as porté une attention particulière à ton alimentation?
Catriona : Pas vraiment. Je mangeais bien. Je mangeais beaucoup de viande, mais en général mon alimentation était balancée.
Thomas : Est-ce que tu as apprécié cette façon de vivre?
Catriona (dit joyeusement): Deux choses. Je l’ai appréciée. Maintenant que je ne le fais plus, j’apprécie de ne pas le faire. J’apprécie le fait que je peux avoir une bière ou une bonne coupe de vin quand je le veux.
Thomas (rit en entendant la dernière réponse de Catriona) : Est-ce que l’apport de ta famille et de tes amis ont joué un rôle important dans tout cela?
Catriona : Énorme. Ils étaient toujours là pour me supporter, toujours en train de m’aider, toujours là pour moi.
Thomas : Plus jeune, as-tu pratiqué d’autres sports que le patinage de vitesse?
Catriona (confirme): Oui! J’ai joué à la ringuette, au soccer et j’ai fait de l’athlétisme.
Thomas : Tu pratiquais quelles épreuves en athlétisme?
Catriona : Je faisais du sprint et l’heptathlon. Un autre sport que j’ai fait pendant des années est le ballet.
Thomas : Est-ce que tu peux dire que ces sports t’ont permis d’être meilleure comme patineuse de vitesse?
Catriona : Je pense que oui. Ils m’ont appris différentes habilités. La danse m’a appris l’équilibre, la flexibilité et la force. Le soccer est un bon sport d’équipe. Tous les sports m’ont appris différentes petites choses.
Thomas : D’ailleurs, pourquoi as-tu choisi le patinage de vitesse?
Catriona : Ma sœur l’avait essayé et cela semblait bien amusant. Quand j’ai essayé, j’ai vraiment eu du plaisir et j’ai apprécié les personnes autour de moi. Donc, j’ai voulu continuer. C’est aussi le plus rapide sport où l’on se propulse soi-même. C’est plaisant de voir à quelle vitesse on peut se déplacer.
Thomas : À quelle vitesse vas-tu?
Catriona : Les femmes peuvent patiner à 55 km/h.
Thomas (wow!): Considères-tu que le sport t’a apporté beaucoup dans la vie?
Catriona : Oh oui! Cela m’a apporté plusieurs choses. Plusieurs éléments personnels. Cela ouvre aussi les portes. J’aide maintenant pour différentes œuvres caritatives.
Thomas : Comme?
Catriona : « Right to play » (Droit de jouer). C’est une organisation créée par Johann Olov Koss. Cela a commencé au Canada. L’organisation va dans les pays défavorisés et leur amène le sport et la santé.
Thomas : Sur le plan sportif, quel est ton meilleur moment?
Catriona : C’est très difficile d’en choisir un. Je pense que si j’avais à choisir quelque chose dont je suis la plus fière d’avoir accomplie c’est d’avoir donné une performance constante si longtemps.
Thomas : Est-ce que tu recommanderas à ta fille de pratiquer du sport et pourquoi?
Catriona : Je veux qu’elle soit active. J’aimerai bien qu’elle soit impliquée dans le sport, car je crois que c’est bon pour le corps, le psyché et sur le plan émotionnel. Toutefois, je ne vais jamais lui mettre de la pression. Je n’ai jamais été poussée et je ne mettrai pas de pression sur elle.
Thomas : Est-ce qu’il y a des chances de te voir à nouveau aux Jeux olympiques?
Catriona (en riant): Oui. Mais pas dans les compétitions.
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