21 juillet 2017

Brianne Theisen-Eaton

(info sur Brianne Theisen-Eaton)

Vivre à fond l’heptathlon

Thomas Kieller

Photo – Copyright AFP Photo/Geoff Robins

Brianne Theisen-Eaton : Bien concentrée dans sa course, le 4 x 400 mètres relais, aux Jeux panaméricains de 2015.

Bien entraînée et préparée aux maintes épreuves de course, de lancer et de saut, Brianne s’est lancée sans retenu dans les compétitions d’heptathlon et de pentathlon. Elle a eu sa part de succès avec l’Université de l’Oregon en remportant sept championnats de la National Collegiate Athletic Association (NCAA) dont trois en heptathlon, trois en pentathlon et un au relais 4 x 400 mètres. La Canadienne a trimé dur à l’entraînement afin de perfectionner les différentes disciplines de son sport. D’ailleurs, la femme des prairies, née à Saskatoon, a vu son travail récompensé à de nombreuses reprises avec une douzaine de podium de 2013 à 2016. Rappelons-nous de sa première place en pentathlon lors des Championnats du monde d'athlétisme en salle de 2016. Sacrée championne et motivée à bloc, elle s’est attaquée la même année aux Jeux olympiques de Rio de Janeiro, Brésil. Avec d’excellentes performances au saut en longueur et au javelot lors de la deuxième journée de compétition, elle s’est hissée une fois de plus sur le podium en remportant une médaille de bronze. Déjà détentrice du record canadien au pentathlon intérieur, elle a ajouté lors de ces Olympiades une note finale à sa carrière avec un record national en heptathlon. Motivée et passionnée par son sport, Brianne a laissé sa marque en athlétisme.

L’entrevue téléphonique a été réalisée le 11 juillet 2017 à 8h30 lorsque Brianne était en Oregon, États-Unis.

Entraînement pour l’heptathlon

Thomas Kieller : Quelles sont les caractéristiques physiques importantes afin de bien performer à l’heptathlon?

Brianne Theisen-Eaton : En bref, c’est une question de vitesse, de puissance et d’explosivité. La seule épreuve d’endurance c’est la course de 800 mètres et presque toutes les heptathlètes la courent en se basant sur leur vitesse. Nous utilisons cette vitesse pour les 600 premiers mètres et après nous résistons tout simplement de notre mieux. À l’entraînement, nous ne faisons pas du tout de longues courses. Je m’entraîne comme une coureuse de 400 mètres car je cours les 200 et 800 mètres. Donc, c’est pour cela que je peux aussi courir un 400 mètres décemment.

Nous avons besoin de puissance et d’explosivité afin de bondir pour le saut en longueur, pour décoller des blocs de départ lors d’une course ou bien d’être capable d’utiliser efficacement nos épaules et nos bras durant le lancer du poids. Lorsque nous nous entraînons, nous faisons des squats et des sauts sur une boîte afin de développer cette force et cette explosion. Toutefois, on ne veut pas devenir costaud. Il faut avoir d’une certaine façon un physique léger car on doit décoller du sol au saut en hauteur, au saut à la perche, etc. Donc, nous nous entraînons d’une manière explosive.

Thomas : Lors d’une semaine typique d’entraînement, tu t’entraînes comment pour les sept épreuves?

Brianne : À vrai dire, nous faisions plutôt cela lors d’un cycle de trois semaines, deux semaines d’entraînement rigoureux et après une semaine de récupération. Lors de la semaine de récupération, nous faisions des épreuves techniques. On délaissait les durs entraînements de course ou les lourds soulevés.

Pour une semaine type comme c’est le cas lors des deux semaines d’entraînement rigoureux, nous faisions les lundis, mercredis et samedis un dur entraînement. Parfois, c’était deux sessions d’entraînement par jour avec deux épreuves dans la matinée. Par exemple, le lundi cela pouvait être le lancer du poids et la course de haies. Nous prenions une pause et nous faisions des éléments plus techniques. Après nous prenions une autre pause et nous revenions avec le saut en hauteur et puis on faisait un entraînement rigoureux à la course. C’était comme cela les lundis, mercredis et samedis. Nous ne faisions pas les mêmes épreuves à tous les jours, mais nous faisions de deux à trois épreuves techniques suivi d’un entraînement à la course.

Mardi, jeudi et vendredi étaient les journées où nous faisions des lancers et des soulevés. Nous trouvions cela plus facile car nous n’avions pas cet entraînement rigoureux à la course dont tu sors complètement drainé. Quand tu fais des lancers cela peut être difficile, mais ce n’est pas écrasant pour le corps.

Après un dur entraînement du mercredi, nous venions à notre séance d’entraînement du jeudi fatigués. Dès fois, notre entraîneur nous retournait à la maison ou bien nous disait de faire un réchauffement avant de retourner à la maison. Puis dimanche, c’était toujours la récupération.

Thomas : Est-ce que c’est un long processus d’apprendre les différentes techniques des épreuves? Est-ce que tu avais un groupe d’entraîneurs pour t’aider?

Brianne : Oui. D’ailleurs, je fais cela depuis si longtemps que je ne me souviens pas de tout. J’ai commencé l’heptathlon en neuvième année. J’avais fait du sprint, du saut en longueur et de la course de haies bien avant que je commence l’heptathlon. J’ai dû apprendre le saut en hauteur, le lancer du poids, le javelot et la course de 800 mètres que je n’avais couru auparavant. Donc, j’ai appris cela en neuvième année et j’ai eu d’excellents entraîneurs qui m’ont aidé. J’ai eu un entraîneur qui faisait essentiellement le sprint, le saut en longueur et les haies. J’avais un autre entraîneur qui m’a aidé pour le saut en longueur et le javelot car ce sont deux épreuves similaires. Puis, j’avais un autre entraîneur qui m’a aidé pour le lancer du poids. Tout cela c’était au secondaire. Quand je suis arrivé au collège, j’avais un entraîneur qui supervisait tout.

Thomas : D’ailleurs, quelle épreuve au point de vue technique était la plus difficile à apprendre?

Brianne : C’est certain que pour moi c’est le lancer du poids. Je voulais tout simplement grincer mes dents et lancer le poids le plus loin. Je savais que ce n’était pas la chose à faire puisque j’avais vu une heptathlète toute petite qui lançait très loin. Donc, je savais que c’était une question de transférer son énergie et d’utiliser ses jambes. Ce n’est pas seulement les bras et le haut du corps qu’il faut utiliser quand tu lances et c’est ce que j’avais tendance à faire. Donc oui, j’ai eu des difficultés avec cela et bien entendu c’était frustrant. De plus, au lancer du poids, c’est une question de relaxation. Tu dois être détendu et tu dois permettre à ton corps de bouger et d’exploser. C’est difficile de faire cela quand tu es nerveux ou excité.

Thomas : À l’entraînement, est-ce que tu voulais mettre l’accent plus sur les épreuves que tu trouvais difficile ou bien préférais-tu t’entraîner sur les points où tu étais forte?

Brianne : J’ai eu longtemps de la difficulté avec le javelot. Par contre, c’était mon épreuve favorite à l’entraînement et cela l’est toujours. J’étais excitée lorsque nous pratiquions cette épreuve puisque j’espérais que j’allais finalement la comprendre. J’avais cette mentalité.

D’un autre côté, il y avait des jours que je ne voulais absolument pas lancer le poids. Je n’aimais pas cela. Cela a été toujours l’épreuve que j’ai le moins aimé car je n’étais pas bonne à cela. Toutefois, il y a des jours où j’avais une bonne attitude par rapport à cette épreuve et j’étais excitée de la pratiquer. J’étais positive et je voulais apprendre quelque chose de nouveau. En résumé, ce n’était pas parce que je ne faisais pas bien dans cette épreuve que je ne voulais pas travailler dessus. À vrai dire, les épreuves qui étaient plus faciles pour moi étaient parfois ennuyantes à pratiquer. J’en apprenais moins. Au bout du compte, on ne se concentrait pas sur les épreuves où j’étais bonne, mais plutôt sur celle que je devais améliorer.

Thomas : Bien entendu, tu t’entraînais beaucoup sur la piste, mais est-ce que tu t’entraînais aussi dans un gymnase ou ailleurs?

Brianne : Hors piste, nous faisions des soulevés comme à la salle d’entraînement. Parfois, nous jouions au basket-ball ou au volley-ball pour la pliométrie. Avec le basket-ball, on faisait beaucoup d’exercices afin de pratiquer le saut en hauteur. On ne voulait pas éprouver nos jambes avec du saut en hauteur à répétition. Nous pouvions aussi courir dans un sentier en colline et y faire notre entraînement. Mais il faut dire que la plupart du temps, nous étions sur la piste. Le printemps était un moment où nous étions un peu plus à l’extérieur de la piste. Durant cette saison, on courait dans des sentiers de copeaux de bois afin de parfaire notre condition physique.

Épreuves et comment bien performer en compétition

Thomas : Quelles étaient les épreuves que tu savais que tu pouvais perdre le plus de points par rapport aux autres athlètes?

Brianne : Le saut en hauteur est la principale épreuve où je savais que je pouvais perdre beaucoup de points et cela compte beaucoup pour le classement général. Si ta compétitrice fait une barre (ce qui représente trois cm) et que tu ne le fais pas, et bien tu consens 35 points. Deux barres, c’est 70 points. Après trois hauteurs, elle peut faire 100 points par rapport à toi. Chez les femmes en heptathlon, le calibre au saut en hauteur est incroyable. Deux femmes à Rio de Janeiro, Brésil ont sauté 1,98 m. Si elles avaient sauté deux mètres, elles auraient gagné la médaille d’or au saut en hauteur. C’est vraiment excellent. Je suis une bonne sauteuse et j’ai déjà sauté 1,89 m mais lorsque tes adversaires sautent tout près de deux mètres cela représente 120 points. Donc, je ne pouvais pas me permettre de ne pas sauter ma meilleure performance. C’est très stressant. Tu dois rester calme et il ne faut pas se préoccuper d’autres choses comme que tes adversaires ont franchi la barre. Tu dois rester concentrée et porter ton attention sur ce que tu as fait à l’entraînement. Tu dois écouter ton entraîneur et exécuter les points que tu es supposée de faire.

Thomas : Et en général, quelle est l’attitude que tu dois avoir?

Brianne : Lorsque je me levais la première journée de l’heptathlon, je faisais la première épreuve qui est la course de haies. Là, j’étais une coureuse de haies. Je me concentrais sur le 100 mètres haies. Après, c’était fini. Je passais à la prochaine épreuve qui était le saut en hauteur et je me concentrais dessus. Donc, c’est vraiment une épreuve à la fois. Par exemple, lorsque les haies étaient finies, je n’y pensais plus et je ne critiquais pas ce que j’avais fait car cela n’apporterait rien. Je devais me concentrer sur le saut en hauteur et comment sauter le plus haut possible.

Thomas : Est-ce que la pression joue un facteur dans certaines épreuves comme le saut en hauteur et le saut en longueur où tu vois la performance des autres athlètes?

Brianne : Oui cela a un impact. Le saut en hauteur est une épreuve où tu vois facilement ce que les athlètes font puisque tu les vois sauter. Toutefois, pour le saut en longueur, le lancer du poids et les épreuves de cette nature, tu peux rater leurs essais puisque tu peux être entrain de discuter avec ton entraîneur. Si tu as raté un essai, tu ne sais pas vraiment ce qui est arrivé. En saut en hauteur, c’est facile de voir qu’elles sont encore en lice et qu’elles ont franchi la barre. Il y a définitivement un côté psychologique au saut en hauteur.

Thomas : Est-ce que les épreuves de lancer tels le javelot et le lancer du poids sont plus ardues pour l’athlète type de l’heptathlon?

Brianne : Pas nécessairement, certaines heptathlètes sont excellentes au javelot et au lancer du poids. Tu peux avoir des heptathlètes qui sont très bonnes à l’une de ces deux épreuves et sont complètement nulles à l’autre. Ce qui est d’ailleurs intéressant. Il y a des gens qui pensent que si une athlète lance loin au lancer du poids, elle doit être forte. Et donc, pourquoi ne peut-elle pas en faire de même au javelot! Eh bien, ce sont deux épreuves différentes et la sensation n’est la même. Il y avait une heptathlète de la Grèce qui lançait le javelot ridiculement loin et elle ne mesurait que 5 pieds 2 pouces. Tu peux avoir des personnes costaudes qui lance le poids très loin et d’autres du même gabarit qui ne sont pas capables de faire pareil. Il faut vraiment comprendre l’épreuve et capable de maximiser l’élan afin de bien lancer le poids.

Thomas : On peut constater que l’heptathlon pousse les athlètes à leurs limites. Est-ce que tu ressentais de la fatigue après toutes les épreuves que tu dois faire en deux jours? Et est-ce que c’est volontaire de finir par la course de 800 mètres?

Brianne (dit un sur ton joyeux) : Je pense qu’on finit avec la course de 800 mètres car c’est l’épreuve qui draine le corps le plus. Donc, les organisateurs ne veulent pas la mettre le premier jour. Je ne m’imagine pas faire le 800 mètres puis après le saut en hauteur. Cela n’aurait pas de sens. C’est aussi une épreuve qui apporte son lot de bonnes sensations. Tu peux voir les compétitrices se battre pour leur positionnement au classement général et ce durant deux tours de piste. C’est excitant!

En ce qui concerne l’heptathlon, ce n’est pas tellement éprouvant. Ce que je veux dire c’est que nous sommes vraiment bien entraîner, surtout si on va aux Olympiques. Je pense que la partie difficile provient de l’aspect mental et du calendrier olympique. La première épreuve est à 9h du matin ce qui signifie que tu dois te lever à 4h30. La dernière épreuve est à 21h30. Toutefois, tu as une longue pause au milieu de la journée de six à sept heures. Une partie de toi dit : « Allons-y, faisons les deux autres épreuves ». C’est donc fatiguant mentalement à cause des longues journées.

Si je devais faire la compétition sur sept jours, c’est-à-dire une épreuve par jour, je trouvais cela quand même fatiguant mentalement. C’est le stress, l’inquiétude et l’anticipation que cela amène… C’est pour cela que beaucoup d’heptathlètes disent pourquoi ne pas faire les quatre épreuves une à la suite de l’autre. Et pourquoi avons-nous une pause de sept heures où tu penses et tu t’interroges sur tes performances futures. Tu es anxieuse et vraiment tu anticipes ce qui va arriver. Sur le plan physique, nous nous entraînons ridiculement beaucoup. Par exemple, je faisais 20 sauts en hauteur et 30 lancers du poids en pratique. En compétition, je faisais trois lancers et neuf sauts en hauteur. C’est bien plus fatigant en pratique. En compétition, c’est plutôt une question de stress provenant de l’environnement.

Nutrition

Thomas : À titre d’athlète en heptathlon, est-ce que tu portais une attention particulière à ta nutrition?

Brianne : Oui, je mettais beaucoup l’accent sur la nutrition. À cet effet, je travaillais avec un physiologiste du sport qui a fait du bon boulot en m’aidant à faire mon plan et ce que je dois manger en compétition dans les pays étrangers. Ceci est vraiment important. Par exemple, lors des Jeux olympiques de Londres, Royaume-Uni, c’était complètement différent des Championnats du monde à Pékin, Chine. À Londres, tu peux trouver facilement du riz, du poulet, des légumes et tout ce que tu manges normalement, mais à Pékin il y avait des sandwichs aux poissons qui restaient dans la glacière pendant trois jours. Tu sais que tu ne vas pas manger cela. Donc, il faut être bien préparé et apporter ses collations. Quand tu restes assis au stade pendant 13 heures dans une journée, tu dois avoir ta propre nourriture. Tu ne peux pas te fier aux sandwichs aux poissons. C’est vraiment une question de ce qui fonctionne pour toi, éviter ce qui pourrait perturber ton estomac, manger suffisamment et tout ce qui tourne autour de cela.

Thomas : Tu as un site Web qui traite de l’alimentation. Quel est son objectif principal et comment t’ai venu cette idée de le faire?

Brianne : Oui c’est le cas. À vrai dire, j’ai débuté le site Web quand j’étais une athlète mais depuis que j’ai pris ma retraite avec mon mari j’ai pris un virage nutritionnel. C’est vraiment simple. Je trouve qu’il y a beaucoup de personnes qui font des régimes qui apportent un peu de stress et qui sont parfois confondant puisqu’il y en a tant. Donc, je voulais partager ce que je sais et ce qui fonctionnait pour moi à titre d’athlète avec les lecteurs dont beaucoup sont des coureurs amateurs au quotidien. Comment s’alimenter pour un marathon ou un triathlon? Quelles sont les meilleurs aliments et qu’est-ce que je devrais éviter? En résumé, je voulais tout simplement partager ma connaissance avec les gens tout en les gardant informer sur ce qui ce passe dans nos vies, c’est-à-dire d’Ashton et moi.

Thomas : Quels sont les points importants que tu recommanderais aux sportifs concernant la nutrition?

Brianne : La première chose est de se demander qu’est-ce qui fonctionne pour moi. Il n’y a pas un modèle qui fonctionne pour tout le monde. Ce que je veux dire c’est ce qui marche pour moi ne fonctionnera peut-être pas pour Joe qui est un joueur de football. C’est une approche individuelle et je pense que chaque personne doit expérimenter avec les différents aliments. Un point important est d’écouter son corps. Est-ce cet aliment me donne des sensations de lourdeur? Est-ce que cela perturbe mon estomac ou bien est-ce que je me sens bien? C’est certain qu’il faut faire un effort pour manger sainement et pour être bien organisé. Il faut faire ses repas. Il faut s’écouter. Si cela fonctionne pour toi, c’est excellent. Sinon, il faut chercher les aliments qui sont bons pour toi.

Thomas : Merci Brianne pour l’entrevue. C’est bien intéressant d’en savoir plus sur l’heptathlon.

Brianne : Pas de problème! Merci.