13 février 2011

Vers le sommet du Kilimandjaro

Henri Richard

(info sur Henri Richard)

Les fondements du hockey

Thomas Kieller

Henri Richard : Situation compliquée contre les Bruins de Boston.

À l’époque où la Ligue nationale de hockey (LNH) ne comptait que six équipes et où la rivalité entre les villes était possiblement à son comble, Henri a excellé sur la patinoire en combinant adresse et intensité. Rapide et bon manieur de rondelle, ce centre a joué un rôle déterminant dans l’alignement des Canadiens de Montréal qui ont brillé au classement général lors des années 50, 60 et 70. N’ayant pas le plus gros gabarit, le Montréalais connaissait bien son rôle au sein de la formation fleurissante en distribuant des passes à ses coéquipiers de ligne et en fabricant des jeux. Au fils des ans, il a remporté onze fois la coupe Stanley, un record qui risque de perdurer très longtemps. Lors de sa carrière de 20 saisons, il a porté fièrement le chandail bleu-blanc-rouge du CH. Il était vraiment un joueur fidèle à son équipe et à sa ville natale. D’ailleurs, c’est en jouant des matchs survoltés contre les cinq autres grands clubs (les Rangers, les Bruins, les Red Wings, les Black Hawks et les Maple Leafs) que le numéro 16 des Canadiens a su démontrer son talent et sa combativité. Henri s’est donné corps et âme, car il était vraiment un joueur passionné sur la glace.

L’entrevue a été réalisée le 16 juillet 2009 à 10h lorsque Henri était à son travail à Laval, Canada.

Préambule - D’un air serein, Henri arrive à la réception de l’organisation où il travaille. Après les présentations d’office, il me conduit à son bureau tout en saluant au passage ses collègues. Sur sa table et sur ses étagères, on retrouve bon nombres d’articles promotionnels, des photos de lui avec les Canadiens de Montréal, des calendriers et des coupures d’articles de journaux. Il y a définitivement un air de hockey dans son bureau.

Arrivée dans la LNH

Thomas Kieller : À votre première saison en 1955-56, les Canadiens de Montréal avaient un bon noyau de joueurs. Hector « Toe » Blake, qui avait été nommé à titre d’entraîneur, voyait en vous un jeune qui arrivait. Pouvez-vous me dire comment vous avez eu votre place dans l’alignement du CH?

Henri Richard : Tout d’abord, quand j’avais dix ans, c’était pour moi un rêve d’enfant de jouer avec les Canadiens. D’ailleurs, mon frère Maurice jouait déjà pour eux. En 1955, j’ai été invité au camp d’entraînement et évidemment ce n’était pas certain que j’aillais faire l’équipe. J’avais seulement 19 ans et je pouvais encore jouer une autre année junior. Lors de ce camp, j’ai pratiqué avec l’équipe et selon moi j’avais bien fait, mais la direction m’a quand même redescendu chez les juniors. Plus tard, on m’a rappelé pour faire un match hors concours contre les Royaux de Montréal qui était un club sénior de ce temps-là. Bien entendu, je me suis présenté et, dans ce match, j’ai compté une couple de buts. C’est suite à cette partie que j’ai signé un contrat de deux saisons (1955-56 et 1956-57) avec les Canadiens de Montréal.

Thomas : D’ailleurs, en 1955-56, il y avait beaucoup de joueurs talentueux dans l’équipe dont Jean Béliveau, Dickie Moore, Bert Olmstead, Bernie Geoffrion, Maurice Richard, Doug Harvey et Jacques Laplante. Est-ce que vous avez eu de la difficulté à faire votre place au sein de l’équipe?

Henri : En fait, je dois dire oui et non. À la première partie, Bernard Geoffrion, un des bons joueurs de l’équipe, s’est blessé. Voilà, j’ai eu tout de suite mon opportunité de jouer aux côtés de Jean Béliveau et Bert Olmstead. C’est ainsi que cela a commencé pour moi, mais ce n’était pas facile puisqu’on avait une bonne équipe et donc je devais faire ma place. À mes cinq premières années, nous avons gagné à toutes les fois la coupe Stanley!

Thomas : Donc, c'est comme cela que ça commencé pour vous?

Henri (en riant) : Oui, en jouant à l’aile droite avec Béliveau et Olmstead, mais cela n'a pas duré longtemps c'est-à-dire quatre ou cinq parties! Je me souviens que j’étais partout sur la glace. Or, je n’étais pas supposé de faire cela, c’est plutôt le rôle du centre. Et moi, à l’aile droite, j’étais partout. Bert Olmstead me disait : « Reste à ton aile. » Même s'il me disait cela, je ne changeais rien parce que je ne parlais pas l’anglais. Je ne le comprenais pas et j’aillais partout pareil.

Thomas (en riant) : Excellent! La présence de ces joueurs vous a-t-elle motivée à aller plus loin?

Henri : Non, j’avais ma propre motivation, car je voulais vraiment jouer pour les Canadiens. Le rêve d’enfant c’était réalisé. Je n’avais pas besoin d’être pousser de cette façon, car je pouvais me motiver moi-même.

Thomas (sourit) : Oh oui!

Henri (rit) : Oui!

Thomas : D’ailleurs, avez-vous eu le soutien de vos coéquipiers et est-ce qu'il y avait de la compétition entre vous?

Henri : Il y avait définitivement de la compétition. Les trois-quarts des joueurs venaient du Québec dont plusieurs joueurs de Montréal. On venait d’une même situation sociale. Ce qui n’empêche pas qu’il y avait toujours un esprit d'entre-aide, car le club de hockey des Canadiens c’était une grande famille. Les joueurs sortaient en groupe. Par exemple, lorsqu'on allait jouer à l'extérieur de Montréal, on se tenait vraiment ensemble. C’est de cette façon qu’on a gagné à plusieurs reprises la coupe Stanley. Il faut croire que maintenant la situation dans la LNH est un peu différente.

Entraînement

Thomas : Tous les joueurs que j’ai nommé précédemment et vous-même furent des joueurs de talent et aussi des gars qui aiment travailler. D'ailleurs, vous l’êtes sûrement toujours…

Henri (en riant) : Oui, dans le cadre sportif, mais en ce qui concerne le travail pas nécessairement. À vrai dire, je n’ai jamais travaillé; j’ai plutôt toujours joué!

Thomas : Si on remonte dans le temps, je présume qu’avec les Canadiens il ne fallait pas chômer à l’entraînement?

Henri : Ah sur ce point, je travaillais c’est certain. Que cela soit une pratique ou une partie, c’était pareil pour moi. Je jouais comme je pratiquais.

Thomas : D’ailleurs, les entraînements de hockey consistait en quoi en 1955 jusqu’à 1965? Est-ce que c’était axé sur le coup de patin, le contrôle de la rondelle, la stratégie et le jeu d’équipe…

Henri : Disons que c’était surtout axé sur la partie de hockey en général. Aujourd’hui, ce n’est plus pareil du tout. À mon époque, on pratiquait et on jouait ligne contre ligne. On faisait des parties entre nous. Il n’y avait pas tellement de pratiques avec beaucoup de techniques. On savait quoi faire sur la glace, c'était plutôt cela la philosophie lors des pratiques.

Thomas : Est-ce qu’il y avait un entraînement physique comme en gymnase comme c'est fréquent maintenant?

Henri : Non pas du tout. De mon côté, je jouais beaucoup au tennis, c'est-à-dire quatre à cinq fois par semaine ce qui me permettait de me garder en forme puisque c’est un sport très physique.

Thomas : Lors de vos pratiques, est-ce qu’il y avait des séances de patin?

Henri : Définitivement, on patinait lors des pratiques. Mais avant le début du camp d'entraînement, je ne patinais pas. Je pratiquais le tennis avant d'arriver au camp. De cette façon, j’étais en bonne condition physique.

Thomas : Je vois que le hockey a pas mal changé à ce niveau?

Henri : Ah bien oui, cela a bien changé. Je ne peux pas te dire exactement ce qu’ils font maintenant à l'entraînement, mais je sais que la situation n'est plus la même.

Style de jeu d’Henri

Thomas : On sait que le hockey est un sport très physique et il y a des solides gaillards sur la patinoire. Vous mesurez 5 pieds et 7 pouces. Or, avant votre entrée dans la LNH, on vous a fait des remarques sur votre grandeur. Ces commentaires vous ont-ils choqués et est-ce que ça vous a amené à en faire plus?

Henri : Oui, cela m’a amené en faire plus parce que certains ont dit que j’étais tout simplement là parce que mon frère Maurice était dans le club...

Thomas : Mais d'où sortait votre combativité?

Henri : Je pense que c’est un peu de famille. Mon père jouait au hockey et au baseball. C’était aussi un homme travaillant qui faisait bien à son emploi. Donc, je pense bien que cela provient de la famille.

Thomas : Je sais que vous et votre frère aviez un style de jeu différent. Pouvez-vous me décrire le vôtre?

Henri (en souriant) : Oui en effet, Maurice était un vrai buteur et il était très bon. On lui donnait la rondelle pas très loin du filet et il a enfilé les buts. Moi, je n’étais pas un buteur, mais je faisais plutôt les jeux. J’avais de la vitesse et j’étais même plus rapide que mon frère. En fait, j’aurais dû être un buteur parce que c’est plus payant au bout du compte. Ha ha ha!

D'ailleurs, j’ai joué avec Maurice... Il devait mettre fin à sa carrière de joueur de hockey la saison où je suis arrivé dans la ligue. Quand il a su que je faisais l'équipe, il a changé d'idée et il a continué. J'ai joué cinq ans avec mon frère avant qu'il prenne sa retraite. On a donc combiné nos styles de jeu ensemble.

Thomas : Vous étiez donc celui qui orchestré les jeux avec un bon contrôle de la rondelle.

Henri : Ah oui, je pouvais contrôler la rondelle. Il y en a même qui ont dit qu’ils ne pouvaient pas l'avoir, car je l’avais tellement dans les pratiques.

Thomas : Est-ce que vous aviez beaucoup de hargne le long des bandes, malgré le fait que vous étiez un centre?

Henri : Je n’étais pas bien arrangé pour être un joueur physique avec ma grandeur et, en plus, je ne pesais que 165 livres. D’ailleurs, je n’ai pas tellement engraissé puisque je pèse maintenant 170 livres. Je dois te dire que je mettais l’accent sur le patin… Quand tu n’es pas gros ou que tu n’as pas le gabarit, il faut que tu essaies de contrôler la rondelle le plus vite possible, car le gars en arrière il va essayer de te frapper. J’avais donc un bon coup de patin.

Thomas : Vous avez sûrement compensé avec un petit peu de hargne et de combativité?

Henri : Oui, si tu es le moindrement craintif au hockey ou dans n’importe quel sport en général, tu ne feras pas le travail comme il le faut. Je n’ai jamais eu peur de personne et cela m’a beaucoup aidé.

Intensité, séries éliminatoires et coupe Stanley

Thomas : Vous avez joué, entre autres, à l’époque où la ligue était composée de six équipes (Canadiens de Montréal, Bruins de Boston, Black Hawks de Chicago, Red Wings de Détroit, Rangers de New York et Maple Leafs de Toronto). La compétition était féroce entre ces grandes villes. Pouvez-vous me dire à quel point?

Henri (raconte avec enthousiasme) : Oh oui, il y avait beaucoup de rivalité entre les clubs. Il n’y avait que six équipes, alors on s’affrontait souvent, c’est-à-dire une quinzaine de fois par saison. La compétition était bel et bien là, car on se connaissait tous. Maintenant, lorsqu’une équipe vient jouer à Montréal, il y a des joueurs quelque peu méconnus. C’est bien différent de mon temps.

Henri Richard : Bien en contrôle de la rondelle et ce au détriment de Bobby Orr.

Thomas : Est-ce que cette rivalité se reflétait dans l'ambiance qu'il y avait dans l’aréna?

Henri : Oh oui, il y avait une ambiance chargée surtout lorsqu'on jouait à Chicago ou à Toronto. Il y avait une grande compétition avec les Maple Leafs. Et Boston aussi… À vrai dire, c'était vraiment intense contre toutes les équipes puisqu'on jouait tellement souvent l’un contre l’autre.

Thomas : Du côté de vos adversaires, vous avez vu les mêmes visages et les mêmes numéros pendant plusieurs années. Pensons à quelques joueurs comme Gordie Howe, Ted Lindsay, Andy Bathgate, Bobby Hull, Stan Mikita, Frank Mahovlich, Norm Ullman, Phil Esposito, Bobby Orr et Bobby Clarke. Ces joueurs-là et bien d’autres vous ont-ils poussé à vous surpasser?

Henri : Oh oui, avec des adversaires de ce genre cela a sûrement aidé. On jouait tellement souvent l’un contre l’autre qu'on était motivé à bloc.

Thomas : Est-ce qu’il y avait un joueur en particulier contre qui vous vouliez en faire plus?

Henri (en riant) : Eh bien oui, j’ai eu quelques petits accrochages avec Stan Mikita. Disons qu'on ne s’aimait pas tellement. En quelque sorte, c'était une petite compétition naturelle!

Thomas (rit en attendant la dernière réponse) : On sait que dans les séries éliminatoires, le jeu et l’enjeu montent d’un cran. Tous visent la coupe Stanley. Est-ce que les séries étaient un moment que vous attendiez saison après saison, car l’intensité était à son comble?

Henri : Comme j'ai dit auparavant, à mes cinq premières saisons, on avait gagné la coupe Stanley à toutes les fois. Or, lors de ma sixième saison, on a perdu en demi-finale contre les Black Hawks. Ce n’était pas naturelle pour nous de perdre après avoir gagné cinq fois d’affilé. D'un autre côté, c’était normal puisqu'il y avait beaucoup de compétition. On voulait tous en faire plus lors des séries éliminatoires. Avec six équipes seulement dans la ligue, il y avait continuellement du challenge. D'ailleurs, c'était palpitant pour le sport et le jeu sur la glace.

Thomas : Vous avez gagné onze fois la coupe Stanley...

Henri : À ce sujet, j’ai toujours dit que j’étais à la bonne place et au bon moment. Au fil des années, j’ai eu des bonnes équipes et des bons joueurs avec moi. Dans ce temps-là, les Canadiens de Montréal étaient toujours très forts.

Thomas : Vous avez apprécié ces moments-là?

Henri : Oh que oui, je les appréciais et j’en ai profité.

Thomas : En 1971, après 16 saisons dans la ligue et déjà vous aviez remporté dis fois la coupe Stanley, la direction du CH vous a nommé capitaine. Est-ce que ce fut un moment marquant pour vous?

Henri : On donne une grande importance à cela, mais je dois dire qu'à mon époque cela ne signifiait pas autant qu'on pourrait le penser, car c'était l'entraîneur qui menait l’équipe. Le capitaine n’avait rien à dire. Pour moi, c’était seulement un titre qu'on me donnait.

Thomas : Ce n’est pas un petit honneur!

Henri : Non, pas nécessairement... Je devrais plutôt dire oui et non à la fois parce que le capitaine était nommé supposément par les joueurs, mais en fait ils pouvaient nommer n’importe qui. C’était souvent le plus vieux ou celui qui avait le plus de saisons dans l’équipe.

Relève

Thomas : Au cours de votre carrière de 20 saisons dans la LNH et toutes avec les Canadiens de Montréal, vous en avez vu des coéquipiers. Je vais en nommer quelques-uns car c’est important de se les rappeler comme Yvan Cournoyer, Serge Savard, Jacques Lemaire, Guy Lafleur, Larry Robinson, Marc Tardif, Guy Lapointe, Ken Dryden, Rogatien Vachon, Steve Shutt, Bob Gainey. Bien entendu, il y a eu d’autres noms, d’autres coéquipiers et d’autres amis que vous avez côtoyés... Est-ce que vous aviez du plaisir à aider les jeunes qui arrivaient avec les Canadiens comme je suppose qu'on vous a aidé à vos débuts?

Henri : Je ne sais pas si on appelle cela aider, mais je pense que tu dois plutôt poser les bons gestes sur la glace. De mon côté, je n’étais pas le gars le plus bavard. Un jour, Toe Blake m’avait demandé si je parlais le français ou l'anglais, car il ne m'avait pas encore entendu. Pourtant, cela faisait une couple d’années que je jouais avec l'équipe. Au bout du compte, je pense qu'il faut que tu te motives toi-même d'abord et puis les jeunes se motiveront eux-mêmes...

Thomas : Vous les motiviez par vos actions sur la glace…

Henri : Justement, tu n’as pas besoin de parler sur la glace. Les gestes que tu fais sur la patinoire parlent d'eux-mêmes.

Thomas : Je veux revenir sur un point, est-ce que l’esprit d’équipe entre les joueurs des Canadiens était quelque chose de fondamentale pour apprécier le hockey, pour bien faire votre travail et pour éventuellement gagner la coupe Stanley?

Henri : Définitivement, on se tenait ensemble. Après les parties, tous les joueurs partaient et on allait à la même place. Les Canadiens c’était comme une famille.

Thomas : Et cela, saison après saison?

Henri : Cela a toujours existé. À la fin quand tu t’en vas, il est un peu naturel que cela change. Tes années sont derrière toi et c’est donc normal que ton implication baisse un peu.

Derniers mots

Thomas : Est-ce que vous jetez un coup d’œil sur la nouvelle génération dans la LNH?

Henri : Je suis cela mais de loin. À vrai dire, de très très loin malheureusement, car c’est mon style à moi. Mais on se comprend, je regarde cela mais de loin.

Thomas : Est-ce que le hockey moderne vous plaît? Il y a eu une certaine évolution avec des joueurs de plus en plus costauds et athlétiques qui n’hésitent pas à donner des solides coups d’épaule le long des bandes afin de récupérer la rondelle et pour ensuite essayer d'enfiler un but.

Henri : Et bien justement, je trouve que c’est un petit peu trop dur. Par exemple, un joueur fait une passe et après il peut se faire frapper. Il peut même compter jusqu'à deux et recevoir dans cet intervalle une mise en échec. C’est long deux secondes. Personnellement, je trouve qu'il y a trop de gars qui se font blessés de cette façon. Je trouve cela effrayant et cela me fait de la peine de voir des joueurs se faire blesser ainsi. Il devrait y avoir un règlement, mais bon... c'est le hockey.

Thomas : Merci M. Richard pour cet entretien.

Henri : Ce fut un plaisir.