8 novembre 2017
Simon Ammann
(info sur Simon Ammann)Plonger dans le monde du saut à ski
Thomas Kieller
Photos – Copyright Swiss Ski
Avec une bonne technique et un style fluide, Simon s’élance du tremplin où on peut le voir voler parfois pendant un peu plus d’une dizaine de secondes au-dessus de tout. La sensation qu’il doit ressentir lors du vol doit être exaltante. Pensons à sa meilleure performance qui est un saut de 238,50 mètres. D’ailleurs, lorsqu’il exécute ses sauts, sa perception des détails est très rapide ce qui l’aide à s’adapter à la situation. L’athlète suisse originaire de Grabs, une petite commune dans l’est du pays, a réalisé de nombreux grands coups dans sa carrière sportive. Il a remporté, entre autres, 23 victoires en Coupe du monde. Il a fini premier du classement général de la Coupe du monde de la Fédération international de ski lors de la saison 2009-2010. Il en reste que ses plus belles réalisations sont sans aucun doute ses quatre médailles d’or olympiques qu’il a soutiré au grand tremplin et au normal lors des Jeux d’hiver de Salt Lake City, États-Unis en 2002 et de Vancouver, Canada en 2010. Certes, il a eu aussi sa part d’obstacles sur son chemin dont deux chutes assez mémorables. Il s’est toujours relevé pour aller de l’avant dans sa discipline qui le captive tant depuis sa jeunesse. Dans un sport où les aspects physique et mental sont entrelacés grandement, il n’a jamais arrêté de repousser ses limites en relevant continuellement de nouveaux défis.
L’entrevue téléphonique a été réalisée le 25 octobre 2017 à 15h lorsque Simon était à Schindellegi, Suisse.
Passion pour le saut à ski
Thomas Kieller : Comment as-tu débuté en saut à ski?
Simon Ammann : J’ai commencé un peu avant 1992. Il y a donc assez longtemps. J’avais environ neuf ans et demi. C’est assez tard pour un sauteur à ski. Tu peux commencer dans ce sport à sept ans, ce qui est usuel. Donc, j’ai débuté un peu plus tard et sur une petite colline où l’on pouvait faire des sauts de 20 mètres. Lorsque tu arrives au sommet même sur une petite colline comme celle-là, tu ne vois pas la zone d’atterrissage puisque la pente est trop raide après l’envol. Puis lorsque tu es en bas, tu réalises ce qui arrive.
J’aime dire que j’ai deux frères qui ont aussi fait leurs premiers sauts avec d’autres jeunes enfants. Sur notre colline, c’était difficile de sortir de la file d’attente ou de revenir dedans tout simplement. Quand tu étais rendu au départ, il n’y avait plus vraiment d’autres options, tu devais sauter.
Thomas : Pour le public en général, le saut à ski est un sport quelque peu méconnu. Qu’est-ce que tu apprécies dans ta discipline?
Simon : La sensation de voler est difficile à comparer à autre chose. Premièrement, tu as besoin de beaucoup d’énergie pour aller dans les airs. Tu dois utiliser de la force et de la technique. Après, lorsque tu as une bonne position aérodynamique dans les airs, tu te sens vraiment léger. De plus, la vitesse amène de l’adrénaline et de l’endorphine. C’est une grande joie que tu ressens quand tu as fait un bon saut. D’ailleurs, c’est pour cela que je fais ce sport depuis si longtemps. La sensation est fantastique. C’est aussi surprenant comme sport puisque tu peux te rendre à la colline en conduisant bien tranquillement, puis après tu te réchauffes. À ce moment-ci, tout est sous contrôle. Puis, tu montes au sommet de la colline. Quand tu te retrouves dans les airs, tu peux faire un très long saut. Tu ressens une énergie et c’est ce qui fait que ce sport est si captivant.
Entraînement d’un sauteur à ski
Thomas : Premièrement, est-ce que tu peux expliquer la mécanique du saut à ski et comment cela fonctionne?
Simon : En saut à ski, tu as besoin bien entendu de skis et d’une combinaison. En passant, nous avons des règlements stricts concernant l’équipement que nous pouvons utiliser. Il y a aussi le tremplin sur la colline qui doit vraiment être bien préparé. En été, c’est plus facile puisque la zone de dégagement est faite d’un type de plastique et la piste d’élan est faite d’un matériel artificiel. Donc, durant l’été, c’est vraiment facile. Toutefois, en hiver, pour avoir une belle colline, tu dois avoir de bonne connaissance sur la manière de bien préparer une zone de dégagement lisse. Il ne faut surtout pas que cela soit cahoteux, car cela sera immédiatement dangereux pour nous.
Par la suite, nous allons sur la colline. Nous passons la porte de départ. Notre entraîneur nous donne le feu vert pour y aller. Après, tu rentres dans ton élan en prenant une position très basse. Pour ceux qui ne connaissent pas notre sport, ils font vraiment une position d’élan comique. Pour bien faire cela, il faut être flexible. En résumé, tu commences par l’élan; tu fais une forte accélération au moment de l’envol; tu te retrouves dans les airs; tu ramènes correctement tes skis et puis tu voles.
Thomas : Maintenant, je vais décomposer chaque partie de ton entraînement. Lorsque tu fais ton envol du tremplin, tu dois être explosif pour un très court moment. Qu’est-ce que tu fais dans un gymnase pour la force et la puissance?
Simon : Nous faisons beaucoup de musculation. Pour mon poids qui est presque 60 kg, nous faisons de bons soulevés afin d’avoir une bonne accélération. Nous ne faisons pas trop de répétitions. On va le faire de trois à cinq fois. Nous essayons d’être efficients lorsque nous faisons de la musculation. Nous faisons aussi beaucoup de sauts pour imiter le moment où nous faisons l’envol. Par exemple, nous sautons par-dessus des objets en gardant les jambes ensemble.
Thomas : Pour la partie où que tu voles, quels exercices physiques fais-tu pour cela?
Simon : À vrai dire, on ne peut pas imiter le vol, mais on peut faire beaucoup d’entraînement concernant l’équilibre. Tu peux entraîner la force de ton tronc, tant en avant qu’en arrière. L’entraînement moderne pour les muscles du torse jusqu’aux jambes est vraiment à propos pour notre sport. Il en reste que pour le vol lui-même qui implique beaucoup de vélocité et la sensation des skis, nous ne pouvons pas le simuler correctement dans une salle d’entraînement. Il faut pratiquer cela sur la colline.
Thomas : D’ailleurs, quelles parties du corps t’entraînes-tu le plus?
Simon : Nous entraînons principalement nos jambes. Nous faisons beaucoup de squats avec une barre sur nos épaules afin de supporter tout le poids. J’ai un ami qui peut même soulever 100 kg. Quand nous faisons cela, nous voulons aller très bas puis on remonte de façon contrôlée. De cette façon, on entraîne notre stabilité aussi. Nous ne faisons pas beaucoup d’entraînement avec les machines. De plus, nous entraînons notre équilibre de maintes façons comme avec un ballon d’entraînement ou sur une slackline. Lors des dernières années, il y a eu pas mal de bonnes idées concernant l’entraînement du tronc et du torse. Toutefois, ce que l’on fait le plus c’est l’entraînement en force de nos jambes.
Thomas : Tu fais du saut à ski depuis un peu plus de 25 ans maintenant. Est-ce que ta technique de vol et d’atterrissage ont évolué au fil du temps?
Simon : J’ai dû changer ma technique d’atterrissage. C’est une longue histoire mais je vais faire cela court. Premièrement, je sautais en utilisant la position du Telemark avec la jambe droite en avant. Je faisais cela depuis mes débuts jusqu’à mes premiers Jeux olympiques à Nagano, Japon en 1998. L’été suivant, j’ai eu une blessure à mon genou droit. J’ai déchiré mon ligament intérieur droit ce qui a fait en sorte que j’ai changé ma façon d’atterrir en utilisant ma jambe gauche en avant. Par contre, j’ai eu un accident il y a environ deux ans. Depuis cette chute où début de 2015, j’ai essayé de changer à nouveau ma technique parce que je n’avais plus confiance dans ma jambe gauche en position avant lors de l’atterrissage. Donc maintenant, c’est vraiment crucial pour moi de réaliser à nouveau une bonne technique d’atterrissage avec la jambe droite. Après toutes ces années, je me suis beaucoup entraîner avec la jambe gauche, mais je dois retourner à ma jambe d’origine ce qui n’est pas une tâche facile. J’essaie depuis deux ans maintenant et j’espère que j’aurais du succès.
Thomas : Et pour la technique du vol, est-ce que tu as commencé avec la position en V lorsque tu étais jeune?
Simon (rit en donnant sa réponse) : À vrai dire, je ne l’ai pas réalisé à ce moment-là. Aux Jeux olympiques de 1992 en France, Toni Nieminen a gagné sur le grand tremplin en utilisant le V-style. Donc, l’été suivant, tout le monde parlait de la position en V. Pour ma part, je ne faisais que commencer en saut à ski. Donc, je ne comprenais pas ce qui arrivait. Mon entraîneur m’a dit : « Essayons la méthode en V ». Il faut maintenir les skis un peu plus écarté dans les airs et il suffit de voler. Vraiment facile. Ha ha ha! Je pense que j’ai été chanceux de commencer à cette époque. Mes débuts dans ce sport furent vraiment des années fantastiques.
Thomas : Si je reviens à l’aspect physique de ton sport, est-ce que tu fais des exercices pour ton système cardio-respiratoire afin de maintenir ton poids ou pour autre chose?
Simon : Essentiellement, je maintiens mon poids avec un haut niveau de stress. Quand nous faisons des compétitions, nous brûlons beaucoup de sucre. Donc, cela maintient notre poids bas. Et bien entendu, je ne suis pas un lutteur de sumo. En effet, nous sommes légers et oui il y a des sauteurs qui font du cardio pour maintenir leur poids bas, mais c’est aussi très bon pour notre endurance. Toutefois, nous ne faisons vraiment pas seulement du cardio durant l’été. Il en reste que c’est vrai qu’il est bon d’être actif pendant la saison estivale ce qui nous aidera pour l’endurance nécessaire lors de l’hiver et cela nous aidera aussi pour la régénération de nos muscles.
Thomas : Que fais-tu pour la flexibilité et la souplesse qui sont requises dans ton sport?
Simon : Pour la flexibilité, c’est beaucoup d’étirements. J’en fais beaucoup en soirée, juste avant d’aller dormir. De plus, à 36 ans, j’ai besoin de temps pour me réchauffer. Si je faisais tout en gymnase, j’excéderais de beaucoup mon temps. Donc, j’essaie d’en faire pendant la soirée ce qui est bon. D’autre part, je fais un étirement actif. Ce n’est pas tout simplement un long étirement pour un muscle spécifique. Nous faisons notre étirement en avant et en arrière, à de nombreuses reprises, jusqu’à temps que le muscle s’habitue un peu.
En saut en à ski, nous avons vraiment besoin de flexibilité. Un exemple que je peux te donner est la cheville. Nous avons besoins d’aller plus loin à ce niveau que dans d’autres sports. Pour être dans une position adéquate pendant l’élan, il faut être flexible même si on est bas avec les genoux fléchis. Donc, il faut qu’on ait des chevilles flexibles. Aussi, pour avoir une bonne position compact lors de l’élan, il faut avoir un bon dos et que les tendons des muscles soient longs. Ceci nécessite beaucoup d’étirements.
Attitude en compétition
Thomas : On voit bien que lorsque les compétiteurs attendent leur tour au sommet de la colline, ils sont dans leur zone. Quel est ton approche avant un saut?
Simon : J’aime bien avoir une routine lors de la journée de la compétition. Je peux passer un long moment à me concentrer. Bien entendu, j’ai développé cet aspect au fil de ma carrière. Maintenant que je suis un athlète expérimenté, c’est presque rendu de la méditation que je fais. Parfois je parle plus, mais habituellement je ne parle pas beaucoup la journée de la compétition. Quand je me réchauffe et que je monte la colline, comme j’ai dit c’est presque de la méditation pour moi. Je me concentre mentalement sur le moment ou je vais franchir la porte afin de tomber vraiment dans l’action. De cette manière, je suis mieux préparé dans ma tête. En bref, je plonge dans ce monde d’abord pour ensuite plonger de la colline et dans les airs.
Thomas : Quand tu étais plus jeune, est-ce que tu as ressenti de la pression dans les grandes compétitions comme les Jeux olympiques ou les championnats du monde?
Simon : Cela m’a pris du temps avant que j’adopte cette routine que je viens d’expliquer. Nous avons essayé avant différentes techniques de concentration. Durant ces compétitions que tu mentionnes, nous devons nous dire que c’est une journée normale. Puis, lorsque tu passes à travers un événement comme cela, tu réalises que c’est tout simplement une journée normale.
Par contre, j’ai toujours été un gars avec beaucoup d’adrénaline. Mon rythme cardiaque est élevé durant une compétition ou bien lors d’un saut. Nous avons pris des mesures lors des Jeux olympiques de Vancouver en 2010, juste avant de sauter c’est-à-dire lorsque nous tenons nos skis dans nos mains et que nous voyons les autres athlètes franchir la porte de départ. Je me souviens que j’attendais là tout simplement et mon rythme cardiaque était entre 160 et 180 battements par minute. Ceci est un exemple de ce que représente pour nous l’importance d’être concentré puisque le corps est complètement prêt pour l’action. Il ne faut pas tomber dans le côté négatif qui peut tourner à la peur. Pour être capable de bien se concentrer, il faut beaucoup d’entraînement. Finalement, c’est de cette manière que je prends part aux compétitions.
Je sais qu’il y a des gars qui ont des rythmes cardiaques bas lors des compétitions. Toutefois, c’est différent lorsqu’on se retrouve dans un moment aussi intense que les Jeux olympiques que l’on ne fait qu’une fois ou à quelques reprises seulement dans une vie. Donc, ce fut bon et plaisant pour moi de pouvoir performer de la sorte dans un tel environnement.
Thomas : Durant ta carrière, tu as eu ta part d’expériences. Avant les Jeux olympiques d’hiver de 2002 à Salt Lake City, tu as chuté à l’entraînement au Mühlenkopfschanze à Willigen en Allemagne. Quel était ton état d’esprit après cette chute?
Simon : Ma clavicule me faisait mal. Mais aux débuts, j’avais peur parce que j’avais mal à la tête. J’étais tombé sur ma tête. Toutefois, ensuite je n’étais pas trop inquiet de cela puisqu’un mal de tête ne dure généralement pas très longtemps. Mais en ce qui concerne ma clavicule, j’ai tout de suite était envoyé à l’hôpital. Lorsque je suis arrivé là-bas, j’ai demandé aussitôt : « Est-ce que c’est correct? » Puis quand ils m’ont dit que c’était OK, je me suis dit qu’il ne reste qu’un mois avant le début des Olympiques de Salt Lake City. J’allais donc sûrement récupérer de mon mal de tête et que j’allais revenir sur la colline. J’ai réalisé assez vite qu’il me restait assez de temps. De plus, cette pause forcée du saut à ski m’a éloigné du stress de la compétition. Je suis allé à Salt Lake City rempli d’énergie. Cette partie fut bénéfique pour moi et je ne le réalisais pas à ce moment-là. J’ai tellement concentré sur mon retour sur la colline. Et je dois dire que oui c’était une période très intense à partir de la chute jusqu’à la compétition.
Thomas : Et comme on sait, tu as gagné deux médailles d’or à ces Jeux olympiques. Tu as déjà parlé de ta méthode de préparation mentale à une épreuve. Est-ce que le saut à ski est un sport qui nécessite beaucoup de concentration de la part de l’athlète à cause de tous les détails qui sont requis pour faire le saut?
Simon : Oui, nous sommes la majorité des gars avec un fort intérieur. Il faut être quelque peu introverti pour faire face à soi-même et pour être en contrôle de tous les détails qui gravitent autour de nous. Il faut que le plan soit bien orchestré de l’entraînement à la compétition afin de pouvoir faire des sauts puissants et efficaces. Oui, la concentration est importante. Au Japon, ils nous comparent aux combattants qui font du kendo. Dans cet art martial, il faut se concentrer et tu as besoin de bon réflexes parce que tout se passe rapidement. On peut comprendre que la concentration est nécessaire.
Le saut à ski peut sembler être un sport dangereux, mais en fait ce n’est pas dangereux quand tu le fais. Bien sûr, j’ai fait deux chutes un peu folles durant ma carrière. Toutefois, je me suis remis de ma première chute en moins d’un mois et la seconde chute cela m’a pris un peu plus de temps. Bien entendu, j’ai été chanceux mais il faut se relever de cela et aller à nouveau sur la colline afin de ne pas laisser la peur prendre le dessus. C’est une manière de pensée que nous avons et que nous tentons de suivre. Lorsque tu tombes, c’est important de se remettre sur pied le plus vite possible et d’essayer à nouveau. De cette façon, le peur ne peut pas grandir.
Thomas : Merci Simon pour l’entrevue.
Simon : Merci. Salutations.
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